La fonction vitale que l’on néglige
Utilisé à chaque instant de nos existences, il était une faculté – essentielle à notre survie, que l’on observait cependant rarement : son souffle. Quelle importance la respiration a-t-elle sur notre bien-être ?
Tout le monde le fait
Plus de 25 000 fois par jour, on inspire, puis on expire. Tellement instinctif, l’outil qui nous maintient en vie est rarement abordé depuis notre enfance. On inaugure sa capacité respiratoire dès sa naissance, à la sortie du ventre de sa mère, lors du premier cri nommé « premier souffle ». On continue ensuite de respirer 670 millions de fois en moyenne pendant sa vie, souvent sans avoir été éduqué à le faire convenablement… Et les conséquences sur notre bien-être sont manifestes.
En moyenne, dans les pays occidentaux, on respire entre huit et douze fois par minute, tandis que six respirations suffiraient. Selon le journaliste scientifique James Nestor, auteur du livre Respirer : le pouvoir extraordinaire de la respiration, « la façon dont nous respirons s’est drastiquement dégradée depuis l’ère industrielle ». La plupart du temps, nous inspirons seulement depuis notre thorax, brièvement, et de manière irrégulière, au lieu de respirer depuis son abdomen, avec le diaphragme. Une respiration située au niveau des clavicules ne permet pas d’apporter assez d’oxygènes dans nos poumons, aggravant les états de stress que l’on rencontre.
De plus, il semble fréquent que l’on respire par la bouche, notamment pendant son sommeil. Or, il est essentiel d’utiliser son nez pour le faire. L’oxyde nitrique que les sinus permettent de libérer « améliore la circulation de l’air et facilite la livraison d’oxygène aux cellules ». James Nestor suggère donc la respiration buccale uniquement lors de la pratique d’exercices respiratoires (de yoga, par exemple).
La bouche pour goûter, le nez pour respirer, les yeux pour le voir
Il y a 3500 ans, l’un des plus vieux traités médicaux connus, le papyrus Ebers, prônait déjà la respiration nasale. La médecine traditionnelle chinoise et les écrits bouddhistes aussi ! Le taoïsme, ce courant de pensée philosophique et spirituel né au VIe siècle av. J.-C. en Chine, incitait déjà à abandonner la respiration buccale. À ce jour, la science le prouve : respirer de façon continue par la bouche peut entraîner de multiples problèmes de santé. En général, on est contraints à le faire lorsque nos voies nasales demeurent obstruées en raison d’un virus ou d’une bactérie. Et quel supplice !
Le journaliste James Nestor a opéré une expérience singulière en ce sens : il s’est obturé les orifices nasaux, l’obligeant à respirer exclusivement par la bouche. Résultats après seulement 10 jours ? Une augmentation de 4820% de ses ronflements et l’observation d’apnées obstructives du sommeil réduisant son taux d’oxygénation en dessous de 85%. « Quand ce taux passe sous la barre des 90%, le sang ne peut plus fournir assez d’oxygène aux différents tissus du corps. Si cette situation se prolonge, il existe un risque de dysfonctionnement cardiaque, de migraines, de problème de mémoire et de décès prématurés ».
De plus, la respiration buccale s’avère largement plus laborieuse et coûteuse en énergie. Le diaphragme, principal muscle du système respiratoire, est incapable de pomper assez d’air individuellement. Les trapèzes et d’autres muscles du cou et du thorax doivent compenser pour l’aider, et c’est la posture de son corps qui finit par en pâtir.
Florilège des risques liés à la respiration buccale
- Troubles du sommeil : La respiration buccale pendant la nuit peut entraîner des ronflements, une sécheresse excessive de la bouche et de la gorge, et une aggravation des symptômes de l’apnée du sommeil.
- Risque d’infection : La respiration par la bouche peut accroître le nombre de bactéries dans la cavité buccale et dans la gorge, augmentant le risque d’infections.
- Problèmes dentaires : Une respiration continue par la bouche peut favoriser les caries, les problèmes d’occlusion, et des anomalies du palais et des mâchoires.
- Moins bonne filtration de l’air : Contrairement au nez qui agit comme un filtre naturel, la respiration buccale ne filtre pas l’air aussi efficacement, laissant passer des particules indésirables, des allergènes et des bactéries.
- Respiration superficielle : Les inspirations et expirations par la bouche sont généralement plus courtes et moins profondes, réduisant le processus d’oxygénation et conduisant à des multiples risques.
La voie des diverses méthodes respiratoires dites « en conscience »
Une étude de 2021 publiée dans le Journal of Clinical Psychology démontre que la méditation de pleine conscience améliore la fonction pulmonaire et réduit les symptômes de l’asthme. Si la plupart des sagesses traditionnelles en faisait état, le monde moderne use aussi de techniques que chacun peut s’approprier.
En sophrologie par exemple, on amène son souffle à la base de la zone abdominale, en inspirant par le nez et en expirant par la bouche plus lentement. La respiration joue un rôle essentiel pour le système nerveux, elle l’active et le stimule : « Inspirer anime le système sympathique, chargé de préparer notre organisme à répondre au stress. Expirer stimule à l’inverse le système parasympathique, qui nous calme et ralentit le rythme cardiaque », explique le Dr Juneau, Cardiologue et Directeur de la prévention à l’Institut de Cardiologie de Montréal.
Une respiration rapide et superficielle, souvent associée au stress, stimule donc excessivement le système sympathique. Il est associé à la « réponse au stress » ou à la « lutte ou la fuite ». Lorsqu’il est activé, il augmente la fréquence cardiaque, dilate les pupilles, stimule la libération d’adrénaline et de cortisol et prépare le corps à réagir à une situation stressante.
En revanche, le système parasympathique est associé à la « réponse de relaxation » ou au « repos et à la digestion ». Il diminue la fréquence cardiaque, favorise la digestion, et contribue à une sensation de calme et de détente.
En pratiquant une respiration lente et profonde, on favorise un état de tranquillité, et c’est bénéfique pour réduire le stress, l’anxiété et améliorer son bien-être général. De nombreuses applications telles que « Breath » ou « Calm » pour ne citer qu’elles ont été développées ces dernières années. Elles permettent à leurs utilisateurs de suivre leur fréquence respiratoire, la qualité de l’air qu’ils respirent et de pratiquer des exercices de respiration spécifiques.
Un peu d’histoire :
Plusieurs millénaires avant notre ère, le taoïsme chinois et l’ayurvéda (hindouisme, brahmanisme) affirmaient déjà l’importance d’un « fluide vital » irriguant notre corps, une sorte « d’énergie » ou de « souffle intérieur », dont la respiration est une des manifestations. Les Chinois nomment cette énergie Qi et les Hindous Prana (c’est un des concepts clés du yoga). 1500ans avant J-C, le pneuma des Grecs, tel que la rûah du Judaïsme, et le substantif rûh en Islam, renvoie aux deux dimensions du déplacement de l’air et de la présence divine ; c’est aussi pourquoi, dans les langues latines, le terme spiritus est à l’origine à la fois du terme esprit et du mot respiration.